Ce brocanteur me fait voyager dans le temps. Il conjure dans mon imagination des images furtives d’hier.
Á grand coup d’opinions et de ciseaux, le barbier engrange les peines de coeur, un nouveau travail, la perte d’un être cher, un déménagement, un baptême, une trahison, le temps qui passe, les élections, et les prix qui grimpent.
La pâte se plie à la volonté du rouleau. Une petite main s’empare des chutes pour modeler une fleur, un chat ou une coccinelle. Tarte aux myrtilles un après-midi d’été sur une table de pique-nique à l’ombre d’un tilleul. Les ventres repus déboutonnent les pantalons, le vin et la chaleur assoupissent les conversations.
Une jeune femme traverse un boulevard à la hâte, ses talons claquent sur le bitume. Un voile attaché à son chapeau dissimule des traits de khôl et des lèvres sanguines. Alors que tombent les premiers flocons, elle remonte le col de son manteau et se hisse dans un tramway qui la dépose au pied d’un bar d’où s’échappent des notes de doo-wop et de swing.
Outils polis par l’usage, vestiges de ce temps où l’on réparait plutôt que de jeter. Alignés au-dessus d’un étale, dans une proprette maison de banlieue, ils soignent les jouets cassés, les cadres déboîtés, et les tondeuses en grève.
Robe de communion, de mariée ou de deuil, l’ouvrière drape le tissu sur le mannequin à grand renfort d’aiguilles. Les rouleaux de coton, de laine et de velours se roulent et se déroulent au gré des conversations et du tiroir de la caisse enregistreuse qui rythment les allées et venues des clientes.
Des initiales inscrites sur une selle longtemps convoitée. À lui les courses de tonneaux, les rodéos, et les longues balades aux pieds des Rocheuses. Sous un ciel d’acier que les nuages ont fui, sa monture cataclope sur un sentier bordé de cactus.