Un hôtel hanté, une sorcière accro aux jeux vidéo, un remplaçant allergique à l’ail et au soleil, ces 13 nouvelles d’Halloween régaleront vos petits lecteurs. Tour à tour effrayantes (mais pas trop), amusantes et attendrissantes, ces nouvelles sont à consommer sans modération. A lire et à relire de préférence à la tombée du jour, un soir d’octobre, sous la couette avec une tasse de chocolat chaud. Chaque histoire est suivie de questions de discussion pour approfondir la lecture.
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Nouvelle gratuite: Esprit, Es-Tu Là ?
L’hôtel des Deux Sœurs est à l’abandon depuis plusieurs années. Le lierre s’infiltre par les fenêtres cassées, et s’enroule le long de la rampe de l’escalier qui mène au second étage. De longues traînées noires sur les murs en briques révèlent le triste sort de ce bâtiment. Il a brûlé trente ans plus tôt avec Léonie et Zélie, ses propriétaires octogénaires. C’est l’endroit parfait pour des séances de spiritisme. J’en organise deux ou trois par mois, quatre personnes maximum à chaque fois. À cinquante euros par personne, ça me fait de l’argent de poche. Les élèves des collèges et des lycées des villes voisines y participent régulièrement. Au début, ils sont sceptiques, c’est vrai que je n’ai que treize ans et que je suis petite pour mon âge, mais une séance suffit pour les convaincre.
La prochaine séance a lieu ce soir. D’une fenêtre du second étage, je vois mes clients arriver un par un. Deux filles et deux garçons. Ils ne se connaissent pas. Ils ont pour instructions de ne pas se parler et de n’échanger aucune information. Je descends et les rejoins dans le jardin à l’abandon derrière l’hôtel.
— Et comment on va rentrer dans l’hôtel ? demande un garçon qui fait deux fois ma taille. Les fenêtres et la porte sont bardées !
— Chuut ! Tu parles trop fort, tu vas faire partir les esprits.
Le garçon éclate de rire.
— Je ne crois pas aux esprits.
À ce moment-là, une porte claque à l’intérieur de l’hôtel et le groupe sursaute à l’unisson avant de se rapprocher les uns des autres. Je lâche un soupir exaspéré.
— C’est malin. Une des deux sœurs est partie. Tu veux bien te taire, maintenant ?
— Heu, oui d’accord, bredouille le garçon en rougissant.
— Suivez-moi sans faire de bruit, s’il vous plaît.
Ça a l’air facile comme ça, mais c’est toute une organisation ces séances. Il faut trouver des clients qui ont de quoi payer et qui savent rester discrets. J’en ai un qui a essayé de filmer la séance une fois. Depuis, les téléphones sont interdits. Ensuite, il faut choisir l’emplacement puis préparer la pièce. Je change d’endroit à chaque fois. Le hall d’entrée, le petit salon, la bibliothèque, et bien sûr les chambres. Il y en a treize en tout, sept au premier étage et six au second. Chaque pièce offre des opportunités différentes. Au cours des derniers mois, j’ai créé une liste de signaux que j’utilise en fonction des clients et des lieux. Les lames de plancher qui grincent, les rideaux qui bougent, les portraits qui tombent, les ombres qui se projettent sur les murs (une plante artificielle que j’ai trouvée au grenier). J’ai toute une panoplie de systèmes pour communiquer les réponses aux questions de mes clients.
Pour ce soir, j’ai choisi la chambre 7. Je fais signe au petit groupe de me suivre. Je contourne la devanture et je m’arrête devant la porte qui mène au sous-sol. Je sors une vieille clef de ma poche et je l‘ouvre. Comme d’habitude, le groupe hésite. Je passe en premier pour les rassurer et j’allume une simple ampoule jaune qui baigne la cave d’une lumière fantomatique. De temps en temps, un des participants cherche une excuse pour s’en aller sans se ridiculiser. Là, je les informe que c’est trop tard. Si une personne s’en va, on annule tout et je ne rembourse pas. En général, ça suffit pour convaincre le dégonflé ou la peureuse de continuer l’aventure. Nous traversons la cave et montons les escaliers qui mènent à la cuisine. Le vieux bois craque sinistrement sous nos pieds.
Je choisis l’endroit de la séance en fonction des clients. S’ils ont l’air crédules, pas la peine de se donner trop de peine, la bibliothèque suffit. S’ils sont un peu plus vieux ou durs à cuire, je choisis la chambre huit ou vraiment en cas d’urgence, le grenier.
Je guide le groupe à la lueur de ma lampe de poche. Ils me suivent en silence. La table est installée au milieu de la pièce, couverte d’une nappe immaculée qui tranche au milieu du décor lugubre et poussiéreux. J’invite mes clients à s’asseoir, allume la grosse bougie au centre de la table, pose la clef du sous-sol à côté et éteins ma lampe.
Je pose les mains à plat sur la nappe et dévisage chaque personne une à une.
— Nous allons commencer. Quand c’est votre tour, fermez les yeux et posez votre question à voix haute. Une seule question par personne. L’esprit répond par oui ou par non. S’il ne se passe rien, c’est non. Mais si la réponse est oui, il vous fera un signe.
— Quoi comme signe ? demande timidement une fille d’à peu près mon âge.
— Un rideau qui bouge, un objet qui tombe… Ça change à chaque fois.
Elle hoche la tête. Je m’assure que tout le monde est prêt et j’invoque les esprits.
— Léonie, Zélie. C’est moi, Mathilde. Je vous ai amené quatre personnes qui souhaitent vous poser juste une question ce soir. Êtes-vous là ?
Un silence de plomb s’installe. Les secondes passent, puis les minutes. Toujours aucun signe. Mes clients commencent à s’impatienter. Ils bougent sur leur chaise. Je leur fais signe de rester tranquilles. J’attends encore quelques secondes.
— Si les esprits ne se manifestent pas, c’est parce qu’il y a une interférence.
— Comment ça ? demande un garçon aux joues rondes et couvertes de tache de rousseur.
Je pose un regard insistant sur le garçon qui ne croit pas aux esprits et je tends la main.
— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux ? J’ai déjà payé.
J’attends. Il finit par pousser un soupir et dépose son portable dans ma main. Je l’éteins et me reconcentre.
— Léonie, Zélie. C’est moi, Mathilde. Je vous ai amené quatre personnes qui souhaitent vous poser juste une question ce soir. Êtes-vous là ?
Les secondes s’égrènent puis la pendule du rez-de-chaussée sonne trois fois.
— C’est juste Léonie, ce soir.
Je me tourne vers la fille assise à ma droite.
— Pose ta question.
Elle prend une profonde inspiration, peinée.
— Est-ce que Naya va revenir ? murmure-t-elle.
Je lui fais signe de parler plus fort. Elle répète sa question avec plus d’assurance. L’esprit ne se manifeste pas. Je compte jusqu’à trente et, alors que je suis sur le point de passer à la personne suivante, un aboiement retentit au loin. La fille bondit et un éclair de joie traverse son regard.
Je me tourne vers la personne suivante, une fille aux longs cheveux tressés. Son regard me transperce.
— Est-ce que je vais être sélectionnée dans l’équipe régionale de basket ?
Je me mets à compter mentalement, douze, treize, quatorze… Une légère bouffée d’air frais entre par la fenêtre entrebâillée. Quinze, seize, dix-sept… Plus rien. J’arrive à trente. La fille baisse la tête et serre les lèvres. C’est le tour du garçon prétentieux.
— Est-ce que ma sœur a pris la manette de ma PlayStation ? hurle-t-il si fort que tout le monde tressaute.
Rien. Trente secondes passent.
— Pff, dit-il, je sais que c’est elle qui l’a prise. C’est n’importe quoi cette séance.
Une rafale glaciale envahit la pièce et éteint les bougies. Le groupe laisse échapper un cri de terreur alors que les ténèbres envahissent la pièce.
— Suivant, dis-je en sortant mon briquet.
Je lance un regard noir vers le fauteur de troubles qui se tait. Un gringalet rajuste ses lunettes qui glissent sur son nez.
— Je voudrais savoir si je vais être accepté au conservatoire, murmure-t-il d’une petite voix.
Les secondes s’égrènent. Silence. Vingt-huit, vingt-neuf…
— Chut, dis-je. Écoutez !
Au loin, on entend les notes étouffées d’un piano. Le garçon frétille d’excitation.
La séance est finie et je me lève. Quelquefois, un client essaie de négocier une deuxième question. La réponse est toujours non. Je les escorte jusqu’au chemin de terre et m’assure que tout le monde a quitté le parc avant de retourner dans la bibliothèque de l’hôtel.
Les tentures épaisses sont fermées. Le thé est prêt comme d’habitude. Léonie attend que je m’installe sur le canapé poussiéreux pour verser le liquide brûlant dans les délicates tasses en porcelaine ébréchée. Je croise les jambes, porte la tasse à mes lèvres en levant le petit doigt comme elle me l’a appris. Elle me regarde avec envie. Les spectres ne peuvent malheureusement ni boire ni manger.
— Une séance sans problème ce soir, dit-elle de sa petite voix fluette.
— Oui, à part Thomas.
— Celui qui a perdu sa manette de jeu vidéo ?
Zélie arrive sur ces entrefaites. Elle traverse la porte en bois épais et flotte jusqu’au fauteuil avant de s’y affaler sous le regard affectueux de sa sœur jumelle. Elles sont nées toutes les deux en 1912, mais Zélie est née la première et ne peut s’empêcher de jouer les grandes sœurs.
— Tu étais où ?
— Je suis allée ramener Naya chez elle. Cette pauvre petite fille était si triste d’avoir perdu son chien.
— Il était où ? demande sa sœur.
— Perdu dans les champs derrière la ferme des Ténardiers.
— Et cette manette de jeu vidéo ? C’est sa sœur qui l’a prise ?
— Oui, dit Léonie, mais ça lui fera les pieds. Il est infect avec elle.
— On avait bien décidé de ne pas mentir.
—C’est pour une bonne cause.
J’observe les deux sœurs se chamailler gentiment puis je me lève et dépose une enveloppe avec leur commission sur le guéridon. Elles ne vérifient jamais. Elles me font confiance.
— Vous êtes libres mercredi soir ? J’ai un groupe difficile. Il faut qu’on discute de notre stratégie.
Les deux sœurs me regardent avec anticipation.
— Oui, avec plaisir. On a justement quelques idées à te proposer. Viens manger demain soir et on en discute.
— D’accord, à demain.
Questions de discussion
- Pourquoi est-ce que les téléphones sont interdits pendant les séances de spiritisme ?
- Comment est-ce que Mathilde choisi la pièce pour chaque séance ?
- Que penses-tu de Mathilde ? Comment est-ce que tu décrirais sa personnalité ?